LE MONDE – 17.11.2011

Markus Raetz, le magicien de Berne

C’est magnifique, poétique, économe et intelligent. Suisse, quoi ! Je sais, ça va faire rire. Mais peut-être faut-il être né dans le canton de Berne, un peu à l’écart du monde, en 1941, pour aujourd’hui créer avec une telle simplicité.

En deux expositions, à la Bibliothèque nationale de France et à la galerie Farideh Cadot – sa complice depuis trente ans -, Markus Raetz donne. On allait ajouter quoi, mais cela nécessite une énumération, dans le désordre : de la joie, de la réflexion, un gros bout de bonheur et quelques sourires, des sourcils en accents circonflexes quand on ne comprend pas comment ce diable d’homme s’y est pris, et aussi, des estampes.

Pour ces dernières, c’est assez simple : en 1966, une conservatrice de la BNF, Françoise Woimant, qu’on ne saluera jamais assez, crée Les Cahiers noirs, une version élaborée du traditionnel inventaire des collections. Au nom de l’oeuvre, à son numéro d’inventaire et à sa date d’entrée dans les collections nationales, elle décide d’ajouter un texte sur les artistes.

Celui consacré à Markus Raetz date de 1994, et est publié dans la dernière livraison d’Artpress: « Un dessinateur tout à fait exceptionnel. (…) Il nous étonne par la perception qu’il a des choses ; devant ses oeuvres, nous avons presque toujours le sentiment d’une révélation, d’un émerveillement… » On ne saurait mieux dire. Dans le même texte, on apprend que la BNF a acquis des gravures – un genre où le Suisse excelle – dès le mitan des années 1970.

La BNF expose donc le résultat d’années de cueillette et de fidélité, et c’est probablement la plus belle collection publique qui soit en la matière. Quelle importance ? On reprendra un mot de Nicolas de Staël, à propos de Paul Klee, Bernois lui aussi, mais d’adoption : « Quand Klee est aux cimaises, tout le reste des jeunes devient insupportable. » Raetz, c’est le Klee d’aujourd’hui, pour la poésie de ses travaux, tout du moins. Pour leur simplicité aussi. Raetz prend une tôle de zinc, la plie, et on est devant un horizon marin, avec un beau coucher de soleil ou après la pluie. Il tortille six fils de fer, et c’est le bassin d’une femme, recto et verso, sans vulgarité aucune, qui s’offre.

Pour les gravures, cela semble encore plus simple. Seuls les spécialistes pourront apprécier la difficulté technique de la chose. Au regard du quidam, cela paraît juste évident, du genre du »bon sang, mais c’est bien sûr ! » d’un commissaire célèbre. Or, ça ne l’est point. C’est que le bonhomme maîtrise tout et que, bizarrement, il tient à réaliser ses oeuvres lui-même. Certains abrutis modernes lui en font grief, le qualifiant du terme à leurs yeux infamant d’artisan. D’accord : artisan comme l’était Hans Holbein, par exemple. Génie comme lui de l’anamorphose, éclatant au milieu des faiseurs.

Par HARRY BELLET

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