LE JOURNAL DES ARTS – 3.07.2015

Shirley Wegner l’illusionniste

Après avoir exposé ses photographies à l’aspect pictural, la galerie Farideh Cadot montre les tableaux très photographiques de l’artiste

Fidèle à sa démarche qui, depuis trente-huit ans, la pousse à révéler de nouveaux artistes, Farideh Cadot présentait à l’automne 2013 à Paris la première exposition en France de Shirley Wegner (née en 1969 à Tel-Aviv en Israël, elle vit aujourd’hui à New York). On y voyait d’étranges photographies de grand format évoquant des fumées, des feux, des bombardements, des explosions mais aussi des chantiers ou des champs de blé. Chaque image était en fait le résultat d’une installation savamment mise en scène, élaborée par Shirley Wegner dans son atelier à partir de bouts de ficelle, et uniquement pour la prise de vue. Elle donnait en outre à ces images un aspect très pictural, en toute logique pour une artiste diplômée de l’école d’art de l’université de Yale (New Haven, Connecticut) en section peinture. Pour cette seconde exposition, c’est l’inverse. De loin, les œuvres donnent presque l’impression d’être des photos alors qu’elles sont bien des peintures. Et plus précisément des tableautins, presque tous de petit format (30 x 25 cm ou 30 x 20 cm), qui reprennent le même sujet : paysages de désolation, déserts avec barbelés ou encore amas de rochers sur le fond des dunes. Des paysages de nulle part et en même temps ancrés dans la mémoire collective. La surprise augmente lorsqu’on découvre que tous les premiers plans sont des collages, que les fils de fer, par exemple, sont réalisés en relief à l’aide de gaze ou tout simplement de fil cousu, que les cailloux sont faits avec des morceaux de cartons découpés. En fait, des photos aux peintures, il s’agit du même travail. Seul le médium change. On peut d’ailleurs imaginer ce que donneraient ces peintures photographiées en grand format. La grande force de Shirley Wegner est là, dans sa capacité à jouer avec les échelles et les doubles plans : le premier, en relief, sous nos yeux, qui va jusqu’à réellement faire craqueler la terre, et le second, comme repoussé loin en arrière. Il y a ainsi dans chaque œuvre ce décalage générateur de fulgurantes lignes de fuite et d’un magnifique effet de perspective qui renvoie l’horizon très loin, et avec lui ses ciels.

Ici, les jeux d’illusion font passer le réel pour de la fiction (et vice versa), un morceau de feutre pour de la peinture, un minuscule fil pour un poteau, des bouts de papier peint pour un tas de cailloux. Ils donnent une profondeur telle aux images qu’elles deviennent de grands écrans. Ou de grandes photos comme si les tableaux, dans un bel échange de procédé, nous permettaient de mieux comprendre ces dernières.

Le prix, lui n’est pas en trompe l’œil, 2500 euros, le même pour chaque peinture. Il correspond à une cote raisonnable pour une artiste encore jeune, puisqu’elle a réellement commencé sa carrière à la fin des années 1990 et qu’elle n’a réalisé qu’une dizaine d’expositions personnelles.

Par Henri-François Debailleux